Quand le tendre Moreau, en chantant La Voulzie. Trouva dans ce doux mot, la rime à poésie, D'un modeste ruisseau il illustra le nom Mais moi, pauvre apprenti, rimailleur d'occasion, Saurai-je l'imiter. En accordant ma lyre Saurai-je raconter, sans prêter à sourire Le petit coin de France où nous vivons ici ? Ecrire quelques vers pour chanter Crézancy ? Crézancy ! Est-ce un port où de nombreux vaisseaux, Apportant de l'Orient les produits les plus beaux, Viennent s'ancrer le long des immenses jetées Protégeant des typhons sa rade ensoleillée? - Est-ce une ville altière au sommet des coteaux, Ceinturée de remparts hérissés de créneaux Et jetant vers le ciel, O splendeur médiévale ? La flèche et les deux tours ornant sa cathédrale ? - Ou bien une cité aux nombreux ateliers Où s'agite sans cesse, aux rythmes des métiers, Une foule enfiévrée, active et laborieuse : Telle une énorme usine aux cheminées fumeuses ? Non ! Crézancy ce n'est entre Brie et Champagne, Qu'un modeste village, assis dans la campagne. Dans un pli de terrain, une rue, un clocher, Une vigne en coteau, quelques champs, un verger, Une verte prairie où coule une rivière Dont l'eau fait, en jouant, l'école buissonnière. Un petit train poussif, serpentant en traînard Passe en se promenant, quelquefois, par hasard, Parmi les peupliers, dans le gras pâturage Où flâne, en ruminant, le troupeau du village. Au bord de la grand'route une grande maison, Mi-ferme, mi-château (toutefois sans donjon). Dès le matin s'éveille, active et turbulente. Une troupe joyeuse, une jeunesse ardente S'affaire à l'écurie, à l'étable. au grenier ; Les uns vont aux moutons, d'autres aux porcelets ; D'autres, sur des voitures chargent grains ou pailles ; D'autres, vers le plateau, partent pour les semailles. On dirait, les voyant s'agiter, pleins d'ardeur, Creusant, fouillant, bêchant, les fils du laboureur Passant partout la main. sans ménager leur peine Pour trouver le trésor dont parle La Fontaine. Ce champêtre tableau qu'aurait fort bien signé, Comme un plaisant récit, Marie de Sévigné, À souvent son revers ! Lorsque la pluie ruisselle ; Quand, toute la journée, la boue colle aux semelles ; |
Quand l'âpre vent du nord soufflant sur " les Gréaux " On doit, l'onglée aux doigts, charger les tombereaux ; Quand la chaleur accable et que gronde l'orage Et qu'il faut, se hâtant, ramasser le fourrage, Tout cela est moins gai ! Je me souviens d'avoir Piétiné dans la boue du matin jusqu'au soir, Tournant à chaque bout, au " Lit de la Fontaine", La charrue que tiraient six chevaux hors d'haleine. J'ai, sous le grand soleil, dans une autre saison. Chargé, tout haletant, le blé de la moisson. Et puis, sous le hangar, abreuvé de poussière, J'ai nourri la batteuse une journée entière. Et lorsque, certain jour, un temps clair et vermeil Semblait nous inviter à muser au soleil, J'ai dû, tout un matin, rempli de nostalgie. Pâlir en compulsant un traité de chimie. Mais, cela va finir. Bientôt nous partirons, Appelés par la vie, vers d'autres horizons. Mais avant que nous soit ouverte la barrière, Ne pouvons nous jeter un regard en arrière ? Dire un dernier adieu à ceux que nous quittons Sans avoir, en nous-mêmes, quelque appréhension ? Comme l'oiseau captif, dont on ouvre la cage, Hésite à s'envoler vers l'incertain bocage, Quittons nous sans regrets cette vieille maison Où depuis deux années, sans souci, nous vivons ? Pouvons-nous oublier tous nos bons camarades Cordialement unis, malgré quelques bourrades ? Laisser nos professeurs austères et précis. Autrefois des mentors, aujourd'hui des amis ? Je saurai, quant à moi, garder la souvenance De ces belles années de mon adolescence. Je reverrai souvent les bords ensoleillés Du calme Surmelin, bordés de peupliers ; Notre modeste église à la cloche en fa dièse ; Et le petit café où nous servait Thérèse. Mon esprit vagabond retrouvera, joyeux, Le sentier de la Dhuys, si cher aux amoureux. Où par un soir de mai, rougissante et timide. Une fillette blonde, aux lèvres tout humides, M'accorda un baiser qui nous remplit d'émoi. Et quand les ans m'auront, avec leur dure loi, Pourvu de cheveux blancs et... d'un peu de sagesse, Quand je me souviendrai du temps de ma jeunesse. J'aimerai raconter à mes petits enfants, Ma vie à Crézancy quand j'avais dix-sept ans. |